Version française des poèmes de Jan H. Mysjkin publiés en néerlandais dans nY #9 (mars 2011).
Texte français de l’auteur.
Aujourd’hui, soleil !
Il y a dix sangliers, quatre ours et une panthère de signalés.
Personne n’a prononcé le mot de « chacal ».
Je trouve le mot de « panthère » infiniment plus bad luck que le mot de « chacal ».
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Semblables à ces garçons de restaurants italiens ou andalous qui trouvent moyen de
toujours porter une barbe de trois jours, les demeures d’ici offrent toutes l’apparence
de la vétusté. Toutes, elles croulent ; toutes, elles sont délabrées ; la maçonnerie
s’écaille ; les colonnes zigzaguent ; les charpentes s’effritent. Les costumes des habitants
donnent la même impression étriquée et misérable qu’un pauvre village du Bărăgan. Le
fort se compose d’une muraille de brique et de deux étages de maçonnerie. Des faction-
naires y montent la garde avec leurs fusils du temps de Dupleix. Les baïonnettes usées
sont sinueuses du fil comme des couteaux trop fréquemment repassés. À terre, en guise
de tapis, des cotonnades rouges élimées et déchirées.
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Splendides sont les tableaux où figurent les souverains démodés :
Nazr-ed-Din, qui fut fameux à l’époque où les shahs de Perse étaient
une nouveauté ;
Franz Josef jeune, en costume de cheval genre dandy, avec une Elisabeth
coiffée à l’anglaise ;
le dernier Kaiser ;
le dernier Царь ;
à la place d’honneur, un verre truqué permet d’apercevoir dans
le même cadre, selon qu’on regarde de face, de droite ou de gauche : Victoria
d’Angleterre entre son mari et son fils, le sémillant Prince de Galles.
Je mentionne pour mémoire le tableau
Toutes les habitudes inoffensives sont en usage dans ce pays, où les fusils éclatent et où
les canons de parade n’ont jamais tiré un boulet, depuis que sont épuisées les munitions
fabriquées par les fonderies du bon vieux temps. Tout le talent des rabatteurs consiste à
hurler de loin pour faire plus de peur au fauve dangereux qu’ils n’en ont eux-mêmes.
À l’improviste une masse noire débouche de la jounnngle et file rapidement sur une clairière
abrupte, à deux cents pas. Tout le monde fait feu sans même viser, chacun étant soucieux de
tirer le premier, afin d’avoir l’honneur de tuer la grosse bête. Au risque de n’avoir pas cet hon-
neur, j’ajuste posément, et je tire au moment où la bête va disparaître. Elle fait la culbute et
roule dans le ravin broussailleux.
ce qui veut dire : « Elle y est ! » Le plantigrade est blessé à mort, mais est allé expirer plus loin.
Nous sommes allés regarder l’animal. Il porte trois blessures.
Urs Poetica
LA PEAU
La peau de l’ours a deux mètres dix de la tête à la queue. Les rabatteurs l’ont lardé de
coups de pique et de coups de couteau. À grands coups de tranchet, les dépeceurs ont
enlevé la peau. Les entailles ont été aisément recousues par le fourreur.
LA GRAISSE
La graisse de l’ours est souveraine contre les contusions.
LES TESTICULES
Les testicules de l’ours sont employés comme stimulants par les époux doutant de
leur énergie.
LE FIEL
Il suffit d’absorber un peu de fiel de l’ours pour être aussitôt guéri des bronchites en
pays de neige.
LE DOS
Poser son espadrille droite sur le dos de l’ours porte bonheur.
LA PATTE
C’est durant sa longue claustration hivernale, alors qu’il jeûne, que l’ours, pour ne pas
mourir de faim, lèche, lèche, lèche sa patte jusqu’à ce qu’il y ait fait descendre la graisse
dont il est enveloppé et dont il se nourrit ainsi.
LE SANG
Quand un ours a été blessé et qu’on ignore si les traces de sang découvertes sont récentes
ou anciennes, il faut y tremper son mouchoir. Si le mouchoir est comme mouillé d’eau, le sang
est vieux ; si le mouchoir rougit, le sang est frais.
LE GOÛT
Le tigre est coriace et sent fort ; le chacal est nauséabond ; l’éléphant ne vaut rien. L’ours,
quant à lui, est un agréable comestible. La panthère a le même goût que le tigre, mais elle n’a
pas peur de l’ours.
LE RÉCIT DU CHASSEUR
Un jour, à l’affût, voici ce que j’ai vu. Un ours ayant trouvé un cadavre de chèvre, le recouvrit de
branchages dans un dessein mystérieux ; une panthère arriva qui voulut s’emparer de la chèvre ;
l’ours alors cassa d’énormes branches et s’avança vers la panthère en faisant des moulinets ;
mais la panthère, loin de s’effrayer, fit : « Rrrrh ! » et l’ours s’ensauva comme un homme.
LA CHAROGNE
Le clair de lune lustre au-dessus de l’ours un grouillement de corbeaux qui se déplacent en
voletant à mon approche ; des chacals, plus peureux, s’enfuient sans bruit, petites ombres fauves
et pointues.