ETC., ETC…

Version française de quatre nouveaux poèmes de Jan H. Mysjkin, publiés en néerlandais dans nY #6 (juillet 2010). Texte français de l’auteur.

Apparences


J’ai pris un rapide, analogue
au Bucarest-Belgrade, mais
encore plus lent.

Ne sachant sous quelle apparence représenter le lieu, on le figure par un espace vide.

D’un gros banian s’envole la nuée

de perruches et de perroquets jacassants,
de geais et de huppes pépiants,
de tourterelles roucoulantes,
d’oiseaux d’or croassants,
de corneilles faisanes et de rossignols trillants

se dispersant dans le soleil
comme un arc-en-ciel pulvérisé.

Il y a du bon


Le matin frisquet est d’or pâle. Une brume de vapeur
et de poussière rend les lointains
indécis. Pas une montée,
pas une descente — la plaine à perte de vue, la terre
à l’extrémité du monde. Les cultures
et les habitants
ont disparu dans une sorte de paysage
qui est tour à tour la pampa, la savane, la brousse, le désert ou un fleuve
avec dans son lit à moitié desséché, des bancs de sable.
Notre œil
de vieux navigateurs du Nil Blanc
trouve tout de suite à ce paysage quelque chose de crocodilesque.

Échouées au bout d’une longue dune en forme de presqu’île, parmi tout un
     peuple de tortues grosses comme des malles, des masses luisantes et
     immobiles somnolent le nez tourné vers la rivière.
Elles ne se méfient pas du côté de la rive.
J’aperçois l’une d’elles, en tous points semblable à celle du monologue de
     mon enfance : « Un crocodile long comme la Canebière, cinq mètres
     pour le moins de la tête à la queue ».
Je distingue son profil en dents de scie et son interminable museau plat que
     termine une énorme verrue noire.
Elle a bien quinze pieds.

En reprenant le chemin du retour dans nos voitures
qui ressemblent aux voitures des marchandes
de glaces et d’oublies
dans les fêtes de banlieue nous dépassons
des chameaux poussiéreux et miteux qui ont trop de bourres
     de poils par endroits
et pas assez ailleurs. Nous canardons avec nos fusils
à plomb oies sauvages
et bécassines. Nous ne rentrerons pas bredouilles.


Intérêts propres


Conserver de ses ancêtres les Grands Mogols, conquérants et nomades,
     un besoin d’espace souverain et sensuel qui s’étend sur une immense
     plaine raffinée et barbare, entourée de vastes pelouses cupides.

N’avoir besoin ni de travailler ni de faire ses achats.

Se transmettre de génération en génération le patrimoine et la demeure
     familiale, manger bien, se meubler bien, s’habiller solidement et bâtir
     durablement.

N’avoir besoin ni d’étoffes ni de joyaux.

Construire son Versailles de terre durcie et de plâtras qui verdisse et
     commence à s’effriter dès la deuxième saison de l’Histoire.

N’avoir besoin ni de misses ni de jeunes gentlemen.

Se berner dans l’illusion de la dépense d’une cohorte de reines à la sieste
     ennuyée, la courte pipe aux dents, la badine au creux de l’aisselle,
     moulées jusqu’aux fesses dans une langueur poétique.

N’avoir besoin ni de chicane ni de papier timbré.

 

Il y a trop de gibier


Vous levez une compagnie de perdrix qui va se poser, bien en évidence, à
quelques cent mètres de là.

              Blackbucks ! Blackbucks !

Vous lâchez pour l’avantageux quadrupède votre négligeable volatile.
Même s’il vous part une perdrix entre les jambes, vous ne tirez point,
crainte d’effaroucher les blackbucks dans quelque fourré distant
d’un mille. Or, les blackbucks ne vous ont point attendus. Vous
repartez sur les perdrix.

                             Peacocks ! Peacocks !

Vous les voyez, voletant ou trottinant dans le lointain, si grands que les
corneilles, à côté d’eux, ont l’air d’être des mouches. Autour de vous, il
pleut des perdrix et des cailles ; des lièvres filent d’une allure paisible entre
les hautes herbes. Vous ne tirez pas, de peur d’éffaroucher les peacocks,
à une centaine de pas. Encore un petit effort, vous les tenez !

                                 Pig ! Pig !

Allons bon ! un pig maintenant, quoi faire ? Les peacocks sont là, tout près.
Il n’y a plus qu’à se faufiler derrière cette ligne de rochers pour les avoir à balle.
Mais si vous tirez, vous allez effaroucher le pig. Et un pig, tout de même…

                
Je ne saurais mieux écrire : vos deux coups ont porté, c’est un doublé de paons.